Think tanks

La créativité prend le pouvoir! – Ideat magazine (France) features leading conferences TED Talks and Design Indaba Conference.
Design Indaba Conference 2013
Design Indaba Conference 2013

En dépit de leur nom obscur, les think tanks ne sont plus de simples « réser- voirs de pensées » à destination unique de cercles de privilégiés. A l’heure de la toute puissance d’Internet, ils sont devenus des propagateurs d’idées qui font le pari que le design pourrait bien sauver le monde.

PAR ANNE-FRANCE BERTHELON

Ayant depuis longtemps dépassé leurs débuts confidentiels, TED et Design In- daba font aujourd’hui figure de think tanks internationaux de référence, dans un monde qui (re)commence à croire que la créativité peut le sauver. Le coup de génie de ces plateformes dédiées à la présentation d’idées différentes ? Avoir su convaincre des personnalités aussi affirmées et diverses que Steve Jobs, Philippe Starck, Bill Gates, Frank Gehry, Yves Béhar, les frères Campana ou l’ar- chitecte Bjarke Ingels pour n’en citer que quelques-uns, de prendre la parole pour démontrer le bien-fondé de l’infiltration de la pensée créative très en amont dans la logique entrepreneuriale. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, TED et Design Indaba sont de parfaits exemples des valeurs et des nouvelles règles de compétitivité brandies en étendard. A savoir d’un côté être plébiscité par l’intelligentsia qui assiste, moyennant un ticket d’entrée élevé, aux interventions VIP et, de l’autre, rendre accessible gratuitement quelques semaines plus tard les vidéos en ligne. TED propose pas moins de 1 400 présentations sous-titrées en 85 langues. C’est l’architecture subtile de ce modèle économique, élitiste et payant pendant l’événement afin d’être résolument open source (accessible gratuitement par tous) par la suite, qui en fait sa réelle force. « Ce qui signifie », résume Ravi Naidoo, fon- dateur de Design Indaba, « que si vous êtes un adolescent de 16 ans vivant à Khayelitsha (le second plus important bidonville d’Afrique du Sud, NDLR) et que votre rêve est de devenir architecte, vous pouvez dorénavant entrer quand vous le voulez dans l’intimité créative de Shigeru Ban, Francis Keré, Thomas Heather- wick ou David Adjaye. Comment pourriez-vous jamais le faire autrement ? » 

Un show à l’américaine... mais des idées pointues

Mathieu Lehanneur, qui est le seul Français à avoir fait à ce jour le grand chelem des think tanks, souligne que l’impact de telles conférences reste en revanche sous- exploité dans l’Hexagone puisque « beaucoup de designers vivent encore dans le fantasme que leur inspiration viendrait du ciel. Ou des magazines de design qu’ils auraient sur les genoux. En France, la culture de l’échange reste très universitaire, or ce n’est pas de là que vient l’apprentissage du design. Quand j’ai fait TED en 2009, personne ne connaissait l’événement autour de moi, à l’exception de quel- ques esprits plus curieux que la moyenne. Même dans mon propre champ, le de- sign, cela restait extrêmement confidentiel. » 

Révision urgente, donc ! Fondée en 1984 en Californie par Richard Saul Wurman, TED (acronyme de Technology, Entertainment & Design) est aujourd’hui, tout comme Design Indaba d’ailleurs, une puissante « marque ombrelle » orchestrant une myriade d’événements articulés autour des deux conférences phares que sont TED (qui se tiendra non plus à Long Beach mais à Vancouver en 2014) et TED Glo- bal, nomade par culture. Mais c’est véritablement en 2002 avec l’arrivée à sa tête de Chris Anderson que TED a pris son essor. Ce Britannique, philosophe de for- mation (et créateur de l’ONG The Sappling Foundation, qui a racheté TED) a en ef- fet su habilement hybrider idées pointues et show à l’américaine. Un système par- faitement huilé, comme le raconte Mathieu Lehanneur : « A TED, la conférence est construite comme un show, ce qui n’est absolument pas péjoratif, mais signifie que tout est extrêmement structuré. Pour tirer parti de la multiplicité des profils (50 intervenants sur quatre jours, NDLR), l’intelligence de la mise en scène consiste à alterner avec finesse la durée des interventions. Par exemple, un musicien gé- nial qui joue d’un instrument improbable et fait une prouesse virtuose pendant trois minutes, puis un biologiste norvégien qui va parler pendant 18 minutes, suivi d’un geek de la Sillicon Valley qui présente son innovation pendant 6 minutes... Le choix du temps de parole des intervenants est calibré par rapport au niveau de concen- tration optimal des spectateurs. C’est exactement identique à la façon dont un pro- ducteur américain conçoit son film dans les plus grands studios : tant de cascades, tant d’émotion... Tout ces temps-là sont pensés pour que la journée ne soit à au- cun moment ennuyeuse, à aucun moment trop dense. »

Design Indaba, née un an après l’abolition de l’Apartheid

Au Cap, à l’extrême sud du continent africain, la Design Indaba Conference est, de- puis dix-huit ans, l’un des rendez-vous fréquentés avec le plus d’assiduité par la crème des créatifs disruptifs. Porté par la détermination de Ravi Naidoo – ex-pu- blicitaire qui n’a retenu que le meilleur de son ancien métier, à savoir l’écosystème des équipes et la force de persuasion de l’irrévérence bien dosée – Design Indaba a vu le jour en 1995, soit l’année qui a suivi l’établissement de la démocratie en Afrique du Sud. Un bulletin de naissance qui dit tout de l’ambition éthique de ce think tank célébrant le pouvoir de la créativité pour changer le monde. « J’ai tou- jours été obsédé par cette idée. Il n’y a d’ailleurs que les obsédés qui puissent por- ter de tels projets », confesse Ravi Naidoo, rencontré à Design Indaba fin février. 

Interrogé sur ce qui différencie l’outsider sud-africain de la grosse machine amé- ricaine, Mathieu Lehanneur avance : « Ils vont chacun dans le même sens, à sa- voir le décloisonnement géographique et structurel. Mais mon sentiment est que TED fait appel à des personnalités plus hétérogènes, là où Design Indaba, de par son appellation, recentre un peu plus le débat sur le design tel qu’on le connaît. » Un point de vue corroboré par Ravi Naidoo : « Depuis la toute première édition, no- tre objectif a été de nous concentrer sur les industries créatives et, contrairement à TED, je n’inviterai jamais un politicien à participer à la conférence. » Ce qui n’ex- clut pas l’éloge de la diversité, bien au contraire. « Cette année, nous avions cinq continents représentés, avec des intervenants (designers, graphistes, chefs, musi- ciens, architectes, illustrateurs, publicitaires) dont l’âge s’échelonnait de 20 à plus de 80 ans. » Tous reçoivent un brief ouvert « à la seule condition d’aller bien au- delà de la présentation d’un portfolio, l’objectif étant de ne pas dévoiler seulement des réalisations, mais un processus de création en 45 minutes. Car ce qu’il m’im- porte de faire partager n’est pas le résultat final, mais le parcours qui y conduit. » Pari plus que réussi : loin de New York, Londres ou San Francisco, où l’on s’atten- drait à voir une manifestation d’une telle qualité se tenir et sans les moyens fi- nanciers de sa grande sœur TED, Design Indaba a su placer l’Afrique du Sud en po- sition plus qu’enviable sur la cartographie des design weeks internationales. Elle s’est même, au passage, étoffé aux mêmes dates d’une expo et d’un festival de ci- néma et de musique. « Il se dégage de Design Indaba une très belle énergie, confirme Mathieu Lehanneur. Parce que c’est l’Afrique du Sud, parce que c’est Le Cap, et qu’il y a évidemment à la fois une sorte de gourmandise vis-à-vis de toutes les personnes qui vont venir et intervenir, ainsi qu’une humilité sur le chemin qui reste à faire. C’est extrêmement stimulant. » Un potentiel à suivre de près l’an pro- chain, puisque Le Cap sera Capitale mondiale du design 2014... Et, petit scoop col- latéral qui atteste de la pénétration des think tanks dans notre quotidien, les images de l’intervention de Mathieu Lehanneur à TED se sont invitées en guest-star dans le nouveau spot pub de l’iPad !  

BEST-OF DES CITATIONS
DE DESIGN INDABA 2013


« Le meilleur directeur artistique de tous les temps est Michel-Ange, parce qu’il n’était jamais d’accord avec le client. Une société ne peut véritablement être créative que si elle est dirigée par des créatifs. » (John Hegarty, fondateur de l’agence de pub BBH)
« La notion de partage est au cœur de la nouvelle économie, d’autant plus qu’avec la crise, les sociétés sont obligées de sortir de leur zone de confort... »
(Daan Roosegaarde,
artiste et designer)
« La meilleure façon d’être global est encore d’être local. »
(Alex Atala, chef du restaurant D.O.M. à São Paulo)

PROCHAINES TED

• TED Global 2013. 10-14 juin 2013 à Edimbourg (Ecosse).
• TED 2014. 17-21 mars 2014 à Vancouver (Canada).
• TED Active 2014. 17-21 mars 2014 à Whistler (Canada).

TEDx : manifestations sous
licence TED, qui consistent en une diffusion sur grand écran de vidéos

TEDTalks, parfois associées à quelques interventions. Pour le seul mois de février 2013, on a recensé 403 évènements labellisés TEDx dans 76 pays ! 

 

 

 

 

Watch the Talk with Alex Atala